Au long de ces changements, on assiste à la naissance d'un véritable
vocabulaire traduisant tous les genres: la satire, le grotesque, la charge, le comique, l'astuce, la drôlerie, la plaisanterie, le gag,
le bizarre, l'humour noir, la bande dessinée, la caricature politique, le dessin d'actualité,
le dessin humoristique, le dessin contestataire etc
En anglais, c'est pire: cartoon, comics,
editorial cartoon, political cartoon, panel, comic strip, continuity strip etc...
Le caricaturiste est un soldat qui part en guerre dans l'intention de la
gagner. Il dénonce, il dévoile, il démasque. En plus, il assume la tâche de l'historien.
Il doit avoir aussi la capacité d'observer et d'interpréter les événements comme
l'historien sait le faire. Toujours d'après Baudelaire, certaines caricatures "ont droit
à l'attention de l'historien, de l'archéologue et même du philosophe; elles doivent
figurer dans les archives nationales, dans les registres biographiques de la presse humaine".
Les caricaturistes sont les chroniqueurs d'un certain aspect de la société.
Il y a des écrivains d'ouvrage d'histoire qui ont demandé à des dessinateurs, à moi aussi
l'autorisation de reproduire certains dessins représentatifs d'une époque, d'une façon
de penser, comme par exemple "les bérets bleus de l'ONU" de Pierre Le Peillet
"Prix Nobel de la Paix" en 1988 qui m'a fait l'honneur de publier mes dessins dans son
livre. Quand, quelques dizaines d'années plus tard on relit les articles politiques,
ils paraissent dépassés ou futiles alors que les dessins gardent toujours une
signification. On peut donc affirmer que ces dessins sont perçus comme un "souffle d'âme",
un compliment essentiel non seulement comme témoignages, mais comme la déformation type
qu'on fait subir à l'image de la réalité. La définition de l'uvre d'art ne dit-elle
pas à peu près ceci: "ce qui reste de la civilisation, quand on a tout oublié"?
Processus de communication
Faire du dessin quotidiennement,
c'est pratiquer une religion bien plus qu'exercer un métier. La caricature, témoin des
contrastes de l'histoire contemporaine, nous amène à réfléchir et à tirer les leçons
des événements quotidiens. La caricature est une arme de lutte, un outil de combat pour
un monde meilleur. Les meilleurs caricaturistes sont ceux qui s'expriment avec courage,
même quand ils sont seuls. Un grand caricaturiste prend des risques. Pour moi le dessin
n'est pas seulement un moyen de s'exprimer, c'est beaucoup plus, c'est une raison de se
battre. Il faut spécifier ici qu'il y a deux sortes de caricatures politiques: ceux qui
s'imposent aux journaux où ils travaillent, et ceux qui se plient à la politique des
journaux auxquels ils collaborent.
Du point de vue communication, la caricature est un message visuel et
humoristique. Comme dans tous les processus de communication, il y a d'abord les faits,
les événements, les personnages, les idées qui sont à l'origine. Ils sont les SIGNIFIES. Ensuite, il y a
l'EMETTEUR, c'est-à-dire le caricaturiste. Puis le MESSAGE, c'est-à-dire la caricature.
Ensuite le CANAL DE TRANSMISSION: Le journal ou tout autre véhicule d'information. Puis
le RECEPTEUR. c'est-à-dire le lecteur. Finalement, nous arrivons à l'IMPACT du message.
Le caricaturiste comme l'informateur prend en considération les possibilités
du canal de transmission, le niveau social et culturel du lecteur. Le but du dessinateur
est différent de celui de l'informateur. Tout en communiquant un message au lecteur, il
entend le faire sourire et par là le surprendre, le choquer, lui transmettre une
constatation ou provoquer en lui une réaction quelconque. Si le lecteur sourit,
l'objectif est atteint. Mais attention: un dessinateur de presse n'est pas un clown,
loin de là!
Le caricaturiste n'a pas le droit de tromper le lecteur, de lui donner une
fausse image de la réalité. Chaque masse de lecteurs a ses propres opinions qui ne sont
pas très différentes de celles de leur journal. Ces gens ont souvent les mêmes intérêts
de classe, les mêmes traditions, les mêmes goûts, la même culture, les mêmes tendances
politiques. La presse a fait de la caricature un moyen de combat. Chaque caricaturiste
prend en considération les aspirations de ses lecteurs et prépare ses dessins à leur
intention. Certains veulent les choquer, certains les flatter. Une fois le journal aux
mains du lecteur, le dessin doit frapper son attention, susciter son intérêt. Il faut
qu'il l'accroche!
Il faut que le dessin soit une sorte de coup de poing visuel que les gens
saisissent au vol. Il ne faut pas qu'ils aient à réfléchir pendant une heure. La
caricature est une langue internationale, surtout quand elle est sans légende.
Parfois, pour donner un punch au dessin, il y a les jeux de mots. Grâce à
cette gymnastique mentale, tous les interrogatoires, des plus futiles aux plus graves,
sont circonscris. Les jeux de mots offrent un moyen habile d'exploiter les doubles-sens
de la langue, d'introduire l'imagination dans la réalité. Puis, il y a le calembour qui
est un jeu de mot fondé sur des mots qui se rapprochent par le son-qui diffèrent par le
sens. Exemple: je joue à cash-cash, le chèque-hand de la paix, Saddam Hus
saigne,
RussCIA, le mur du sang, Rien Yasser de courir...
Toutefois l'humour seul ne suffit pas pour faire un bon caricaturiste
politique. Il faut qu'il soit assorti d'autres dons: un talent d'artiste et un talent
de journaliste. Trois atouts sont indispensables: celui de l'humoriste, du dessinateur
et du journaliste.
Le caricaturiste devrait combiner l'alchimie de ces trois ingrédients.
L'humour au fond est une loupe qui donne à voir des monstres, qui fait réfléchir et
révéler les absurdités de la vie. Actuellement dans le monde, le nombre des
portraitistes humoristiques est de plus en plus réduit, car tous les dessinateurs ont
viré vers le dessin d'humour pour gagner leur vie dans la presse. Ce ne sont plus des
caricaturistes, on peut les appeler dans la profession des reporters-dessinateurs.
Il y a des dessinateurs qui exercent ce métier pour gagner leur pain.
D'autres le font parce qu'ils le considèrent très drôle. D'autres encore parce que c'est
comme ça qu'ils sont tombés. Et puis d'autres, parce que c'est la seule manière de se
faire entendre (C'est mon cas). Dans la presse actuelle il n'y a plus de caricature, il
y a seulement des dessins d'humour avec des "bulles". C'est dans cette optique que les
gens conçoivent "la caricature".
Portrait-charge
La caricature, c'est l'art du gonflage et du
raccourci. Gonfler ce qui paraît essentiel et raccourcir ce qui ne l'est pas. C'est
pourquoi je veux parler de la caricature, du point de vue de l'expression picturale et
non du point de vue journalistique. Un artiste n'est pas un fonctionnaire. Certes on est
des journalistes ou peut-être des reporters-graphiques, appelés à parler des évènements
et personnages de la vie publique et internationale.
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