Plumes croisés sur le LibanHiam Yared, March 30, 2009

Il a fallu huit dessinateurs libanais rassemblés autour du
dessinateur suisse de renommée internationale Patrick Chappatte,
pour que l’obscurantisme et la censure soient tournés en dérision.
Subtile manière de dénoncer. Dans ce pays aux dix-huit communautés
religieuses et au moins autant d’influences politiques, aucun
dessinateur ne réchappe à la dure loi des prismes politiques
relatifs à chaque journal au sein duquel il travaille. . « La
censure, a dit Stavro, l’un des caricaturistes les plus renommés de
Beyrouth, passe d’abord par les directeurs de journaux. En général,
ils favorisent les dessins qui attaquent le parti d’en face. Par
contre, pas question de toucher à leurs alliés ». D’ailleurs, il ne
cache pas avoir claqué plusieurs fois la porte d’ex-employeurs qui
se mêlaient trop de ses dessins. « Pour exercer son métier, il faut
pouvoir se sentir libre», dit-il.
On doit ce pari de
caricatures croisées à l’ambassade de Suisse et à l’instigateur du
projet, Patrick Chappatte. Le pari fut un succès avec des dessins
virulents paru durant trois jours dans huit journaux, et attaquant
sans retenue la corruption, les luttes de clan, et l’ego de certains
chefs politiques. Telle cette poignée de main entre politiciens,
tandis que les bombes continuent à tomber sur Beyrouth en tuant des
civils, dessinée par Saad Hajo qui n’hésite pas à enfoncer le clou
mi-figue mi-raisin. « Regardez, dit-il. J’ai dessiné un citoyen
libanais connecté à un détecteur de confessionnalisme ». L’humour
fut de bout en bout au rendez-vous dans cet exercice hasardeux de
dénoncer les avatars d’une société politique sclérosée de toutes ses
dissensions internes.
« L’idée était de faire plancher
ces différents caricaturistes sur les mêmes sujets, en les faisant
sortir de leur contexte. Le dessinateur doit être capable d’apporter
un regard critique sur ce qu’il voit, à commencer par son propre
clan ! », souligne Patrick Chappatte – d’origine libanaise !
Critiquer son propre clan. La gageure est difficile pour les
caricaturistes libanais car quoi que l’on dise, et malgré une
apparente démocratie affichée par le Liban, il n’en demeure pas
moins que la réalité est toute autre. « Si nous sommes largement
plus libres que dans d’autres pays du Moyen-Orient, concède Elie
Saliba du journal « Ad-Diyar », les lignes rouges existent au Liban
». Ainsi, au quotidien al-Moustabal, mieux vaut se garder de
critiquer les alliés... Sans oublier de noter les journaux
pro-hezbollah qui, eux aussi préfèrent éviter de fâcher leurs alliés
iraniens et syriens.
Patrick Chappatte.
Cette table ronde sur « Comment
dessiner le Liban aujourd’hui» s’est déroulé dans une ambiance «
croisée » inoubliable. Huit dessinateurs unis sous le signe de la
liberté de dire par le dessin ce que le verbe évite d’énoncer, se
sont passé la parole pour dépeindre avec humour la censure dans un
pays où les susceptibilités politiques, idéologiques et religieuses
sont à fleur de peau.
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